2:30 AM

Tu viens de finir ton service. Tu enlèves ton tablier, déboutonnes un peu ta chemise et sors de ce bar de misère. Il te faudra encore une heure pour rentrer chez toi. Enfin, chez ton père. Parfois, tu iras simplement chez elle, par flemme de prendre le bus. Tu ne seras pas très à l'aise car tu crains qu'il ne se passe quelque chose -ou qu'il ne se passe rien-. En fait, tu crains simplement de la perdre, elle.
Quelque fois, tu iras la voir elle parce que le simple plaisir de se réveiller dans une pièce vivante sentant les toasts et les œufs brouillés est quand même plus tentant que ta chambre d'ado dans la villa de ton père, en banlieue.
Parce qu'elle t'apporte ce que tu n'as jamais eu.

Tu n'as jamais connu ta mère qui est morte en te donnant la vie. Un acte héroïque, qui n'a pourtant pas été commandé. Mais les conditions en Russie ne sont pas celles de Brighton. Elles l'étaient encore moins il y a vingt ans.
Tu n'as jamais connus ton pays natal. A la mort de ta mère, ton père décida de déménager, ici, en Angleterre, pour tenter d'oublier. Mais comment oublier quand on a sous les yeux la cause du décès de sa chère et tendre? Alors il tenta de te pardonner. Encore une fois, ce fût un échec qui resta gravé en toi.

Tu n'as jamais eu de bed time stories, ni d'embrassades le soir au couché et encore moins de bisou sur le nez.
Tes nuits d'angoisses et de peine tu les passais seul, devant la télévision.
Tu as dû apprendre à te débrouiller seul. La cuisine, la lessive...Tu as toujours eu un problème avec la coordination des couleurs. Et tu sais comme ces stupides gens sont attachés à la mode et aux coutumes.

A l'école, tu étais rejeté. Certains se moquaient de ton noms, d'autre de tes vêtements ou encore de tes cheveux en bataille.
Chaque soir tu les regardais jouer, attendant ton père parfois jusqu'à la nuit tombée. avec le temps, tu t'es créés ton propre monde dans lequel tu te réfugies encore lorsque te reviennent ces sombres pensées. Les gens se sont alors mis à jaser sur ton état, allant jusqu'à te faire passer pour autiste, asocial, voir psychopathe.
Tu as alors appris à lire, et dès lors, tu n'as plus jamais quitté les livres.

Puis tu l'as rencontré, elle. Tu n'as jamais su pourquoi ni comment mais elle est apparue subitement , comme ça, un soir, avec sa grand mère. Alors vous avez parlé. Et elles t'ont tant apporté qu'elles non plus, tu ne les as plus quittés. Elles ne se moquaient nullement de ton apparence et étaient fascinées par ton nom. La grand mère sentait les pan cakes et les gaufres au sucre et elle, elle était simplement là.
Tu as commencé à sourire et à passer de plus en plus de temps avec elles.

Tu t'en souviens encore, et tu souris. Tu souris comme un idiot sourit à la Lune. Toi, petit Pierrot esseulé, petite Alice désorientée, tu souris...
Tu marches seul dans ces rues. Tu ne sais que faire ni où aller, alors tu marches. Tu sors de ta poche un paquet de cigarettes et un briquet. C'est ta dernière. Tu devras en racheter demain matin. Tu l'allumes, regardes la fumée qui s'en échappe lentement. Tu as toujours aimé jouer avec la fumée, si douce. Elle, elle n'aime pas ça. Elle trouve que tu fume trop, que tu sens trop le tabac. Tu pose un pied devant l'autre, et tu te souviens.

Avec le temps, votre relation c'est intensifiée. Peu être un peu trop. Tu aurais dû faire attention...
Tu étais plus âgé qu'elle et as donc quitté le lycée avant elle. Tu voulais aider les gens pour qu'ils ne se retrouvent pas comme toi, elle t'as poussé à t'inscrire en école de soins infirmiers.
Tu viens de finir ta deuxième année. Tu la retrouveras bientôt avec plus de temps libre; qu'importe ses études futures. Mais les choses ont changées...

C'était pour fêter ton BAC et ton entrée à l'école qu'elle t'avait forcé à sortir. Vous avez bu. Beaucoup trop. Et tu n'as pas compris comment, tu ne te souviens pas mais elle était là, assise sur une table, ses lèvres sur les tiennes, sa langue dans ta bouche et ses mains sur tes fesses.
Tu n'as rien osé dire, vous avez continué ainsi quelques jours. Finalement, vous en avez parlez après une soirée plutôt difficile. Elle ne voulait pas te perdre, ni perdre ce privilège apparemment longuement attendu. Toi, tu ne voulais pas la perdre tout court.
Tu as laissé faire et vous avez continuez ainsi. N'allant jamais plus loin pourtant que la taquinerie et la provocation. Elle aimait ça. Ça l'amusait. Alors tu restais docile.

Tu ne veux pas lui faire du mal. Tu l'aimes. Mais différemment. Tout du moins, tu crois. Tu ne sais plus.

Tu frappes à la porte. Sa porte. C'est drôle comme votre inconscient vous mène par le bout du nez. Au bout de ses ficelles, il s'amuse. Toi, ça ne t'étonnes pas vraiment.
Elle, elle est déjà là. Elle t'attend. Elle savait que tu viendrais. Elle le sait toujours. Elle ouvre, te sourit. Elle voit la fatigue en toi, et sans rien dire, dénoue simplement tes cheveux.