Nous sommes un dimanche après-midi et, oh surprise, il pleut des trombes d’eau sur tout le Royaume Uni. Clément, Sasha, David et moi avons fini par atterrir, comme souvent, dans la « salle de musique » aménagée dans ma cave. Il s’agit en fait d’une pièce juste assez grande pour contenir ma batterie et dans laquelle mes amis se serrent pour pouvoir jouer de leurs instruments respectifs. On a toujours joué ensemble, pour rire, sans vraiment être très bons. Je n’ai jamais pris de cours mais j’aime bien me défouler un peu sur la vieille batterie de mon père de temps en temps. Soit dit en passant, je n’ai jamais compris ce que mon père faisait avec une batterie vu son sens du rythme. Nous jouons un peu de tout. Aujourd’hui nous sommes dans une humeur Beatles, sans raison particulière. Nous les massacrons carrément mais peu importe. L’important est de s’amuser, non ? A la fin de Let It Be, je me lève et allume une cigarette. Mes parents ne descendent jamais ici et c’est devenu notre repaire. « On devrait faire un groupe au lieu de rester dans notre coin les gars… » Je tire une latte et ajoute en riant : « On s’appellerait Clém & The Bitches parce que je suis trop swag et que je suis évidemment le leader ». Clément me donne un coup de poing dans l’épaule. « Cléms & The Bitches mon brave, à une lettre près, tu m’as dans ton camp ! » Je hoche la tête. « Deal ! » Je lève ma main vers Clém qui tape dedans de toutes ses forces pendant que nous nous esclaffons. Cette idée est absurde. « On est assez bons pour ça... » Je me retourne vers Sasha, les sourcils levés. « T’es sérieux Sash ? » Je secoue la tête. « J’ai moyen envie qu’on se foute de notre gueule slash qu’on nous envoie des tomates dans la gueule. Cela dit… » Mon fou rire me reprends. « Cela dit… Si… Si on le fait, obligé on s’appelle… Clems and the… bitches… hahhahaha CE SERAIT SUPER DROLE » Sasha se lève. Il a l’air sérieux ce qui ne calme en rien mon hilarité. « J'veux dire... Clem2 a une bonne voix, faudrait la bosser mais elle tient la route. Toi t'es un dieu derrière tes caisses, t'as juste pas les couilles de l'avouer. Et David a un doigté hallucinant. Me remercie pas pour le jeu de mots, Dave. » Je secoue la tête. « Ok vous chantez bien mais laisse tomber ça marchera jamais tu sais combien de jeunes reprennent des chansons classiques dans leur cave ? C’est absurde on arrivera nulle part… Cela dit, je me répète, mais ça reste super marrant moi je suis chaud ! » Je passe une main dans les cheveux de David, assis à côté de moi. « Et Dave est chaud depuis qu’il a entendu parler de doigté, hein chouchou ? » Il soupire. J’admets être un peu lourd de temps à autres. Mais marrant. Toujours marrant. C’est l’important. Je me fais rire seul. « Sasha, franchement, si on s’appelle Clems & The Bitches, je me mets sérieusement à la batterie ». « On va défoncer, les potos. Et Clem, si tu dis "des culs" je te fais avaler tes baguettes. » Je prends un air choqué et fait semblant de penser qu’il s’adresse à Clém 2. « T’entends chou ? Pas de blagues sur des culs. » Je me retourne vers Sasha et Dave. « Donc vous êtes d’accord pour faire partie d’un groupe nul qui s’appellerait Clems and The Bitches ? » Je tente de garder mon sérieux sans y arriver et écrase ma clope dans un cendrier qui traîne par là. « Ce sera la chose la plus absurde qu’on aura faite, et dieu sait qu’on en a fait ! »


« Clém, le pain. » Je soupire. Cette maison est de plus en plus insupportable. Je sais que je me plains de pas grand-chose, comme d’hab, mais quand même. Mes parents sont de plus en plus sur mon dos, Jules et Louise se donnent le mot pour être le plus insupportables possibles et même Corn Flakes me fait la gueule en ce moment, c’est super. Je lance le pain à la tête de mon petit frère sans lui adresser un regard et reprends ma discussion avec Andreas. C’est le filleul de ma mère, il passe un temps monstre à la maison et il est habitué aux scènes débiles de cette famille de drama queens. Il a l’air vaguement amusé d’ailleurs. Certainement parce qu’il attend avec impatience la réplique de ma mère. Qui arrive bien entendu vingt secondes plus tard. « CLEMENT JAKE MCCARTNEY ON NE LANCE PAS LA NOURRITURE A FORTIORI PAS SUR SON PETIT FRERE TU FERAS LA VAISSELLE ». Andreas et Louise se retiennent de rire, Jules semble très fier de lui mais j’ai la flemme de réagir. Je hausse les épaules et continue à manger en ignorant ma mère. Une demi-heure, trois engueulades et une vaisselle plus tard, je me retrouve dans ma chambre avec Andreas. Enfin. Je tente de choper Corn Flakes qui passe par là mais il m’évite en mode ninja. Même le chien est fourbe. Je hausse les épaules et m’étale sur mon lit. Andreas se cale sur un fauteuil. « Je suis super énervé, c’est des connards, ils sont sérieux, tout ça pour un bout de pain je vais les buter et ARRÊTE DE RIRE C’EST JUSTE PAS MARRANT DU TOUT » Je lance un oreiller dans la tête de mon ami en visant (pour une fois superbement bien). Andreas est mon plus vieux pote. Le genre de gars qu’on voit qu’avec ses parents quand on est petit. Et puis après, soit on grandi et on perd tout contact. Soit on se voit tout le temps. Dans notre cas c’est plutôt l’option numéro deux. A part Clément, c’est mon plus vieux pote. Même en comptant Clém d’ailleurs, en y pensant, puisqu’on s’est rencontrés à la crèche. On a grosso modo été élevés ensemble. Et ça fait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler, hors de Clems & the bitches. Même si je dis grosso modo tout à Clém, Sasha et David. « C’est bon mec, c’était super marrant, tu te tapes juste trois jours de vaisselle pour un bout de pain, une salière et une fourchette t’es un bouffon, y a rien d’autre à dire ! » Je lui jette un regard noir et me jette sur lui. « Je vais te buteeeeer toi aussi, tu fais partie de leur camp j’en suis sûr ! » Absurde. Mais whatever. Nous faisons semblant de nous battre quelques instants avant de nous mettre au lit. S’ensuit, comme d’habitude, une conversation interminable. Nous refaisons le monde, nous débattons de tout et de rien, parlons de nos vies absurdement normales ou beaucoup trop mouvementées selon les moments. C’est comme ça que ça se passe toujours. Ou presque. Quand tout ce qui alcool et ses amies les choses illicites n’entrent pas en jeu. Ce qui arrive, soyons honnêtes, assez souvent.


Il est trop tard. Et j’ai trop bu. J’en ai parfaitement conscience. Ce qui ne m’empêche pas de finir mon verre cul sec et de m’avancer à grands pas vers Clément. Je ne sais pas pour qui il se prend. Je sais qu’on est censés donner le change. Je sais qu’on n’a pas le droit d’être ensemble. Mais de là à jouer au gentil petit chanteur qui drague des demoiselles en boîte tous les soirs, faut pas déconner. Je pose mon verre au passage sur une table et m’approche de mon supposed to be petit ami qui danse avec une grognasse et qui semble assez prêt à l’embrasser. Je lui tapote l’épaule droite. « Y a pas de problèmes hein, reste avec ta pute, j’me casse, on se reverra un jour, peut-être, si tu te souviens que j’existe, connard ! » Il s’écarte de sa salope, dieu merci, et se retourne vers moi. « Clem t’es con, c’est toujours comme ça, quel est le problème ? » Je plisse les yeux. Il y a trop d’alcool dans mon sang pour que j’arrive à lui répondre de façon claire et intelligible. Je réfléchis un instant et prépare ma phrase que je prononce le plus vite possible. « Tu déconnes complètement tu joues plus là la meuf tu l’aurais ken t’es un un connard je te hais tu t’en fous de moi je me casse je te dis JE. ME. CASSE. » Je hurle mes derniers mots et tourne les talons. On va encore me dire que je suis une drama queen mais il cherche carrément la merde. Je marche plus ou moins droit. Plutôt moins que plus, mais c’est un détail. Je suis partagé entre la colère et la tristesse. Entre l’envie d’y retourner pour lui mettre un poing dans la gueule et l’envie d’y retourner pour l’embrasser. Mais non. Je suis un bonhomme. Je me casse ça suffit ce coup-ci. J’avance d’un pas que j’aimerais un peu plus sur quand je sens une main sur mon épaule. Sans que je comprenne réellement le pourquoi du comment je me retrouve collé contre un mur par Clément. « T’en ken pas des meufs toi peut-être ? Te fous pas de moi non plus, c’est bien mignon te réveiller pour me faire chier, j’aurais pu faire la même chose la semaine dernière quand tu violais cette bimbo contre un mur. Et puis non tu te casses pas, j’ai pas envie que tu te casses. » Je tente de réfléchir. « Ok, j’en ai peut-être une d’avance mais je sais pas j’en ai marre j’en peux plus j’aime pas et puis de toutes les manières même quand je finis avec elles c’est de la merde parce que c’est toi que je veux, je l’ai dit une fois je le répèterai pas et si, je me casse, retourne la voir. » Je fais mine de m’en aller mais me ravise. Et puis merde. Je passe ma main dans ses cheveux et l’attire vers moi. Je pose mes lèvres sur les siennes. Je ne veux pas qu’il parte je ne veux pas qu’il retourne avec sa salope. Je veux qu’il reste là. Avec moi.