SA PHILOSOPHIE DE LA VIE C'ÉTAIT QU'ELLE POUVAIT MOURIR À TOUT MOMENT. CE QU'IL Y AVAIT DE TRAGIQUE SELON ELLE C'EST QU'ELLE NE MOURRAIT PAS.

Et si c'était ça, la liberté ? Un joint planté entre mes lèvres, je laissais mes pensées se perdre dans le monstre bleu qu'était l'océan, essayant d'en capturer chaque détail de mes prunelles admiratives. La nuit commençait déjà à tomber, je voyais le soleil mourir dans l'immensité de l'océan, aussi loin que mon regard pouvait aller. Le ciel offrait une palette de nuances chaudes ; les oranges, les pourpres et les rosés se mélangeaient et se mariaient dans une parfaite harmonie. Fascination devant le spectacle exposé sous mes yeux, j'avais l'impression que chacune des pièces de ce tableau géant avait été choisie avec minutie pour se compléter à merveille. Je souriais en entendant le rire de ma meilleure amie, à l'arrière-plan, qui se confondait avec celui d'inconnus ; rencontrés non loin de là, ils suffiraient pour nous tenir compagnie ce soir. Le son des crépitements que produisait le feu - qui servira plus tard, lorsque la plage plongera dans le noir - parvenait aussi jusque mes oreilles. Le vent caressait doucement ma peau légèrement hâlée, comme pour me rafraîchir, et faisait par la même occasion virevolter ma longue chevelure blonde ; j'aimais bien ça d'ailleurs, quand mes cheveux volaient ainsi. Je devais paraître imperturbable, posée tranquillement là, dans ce calme olympien, comme si rien ne pouvait m'atteindre, tel le célèbre ver à soie qui m'est homonyme. Serait-ce ce que j'inhalais qui m'apaisait tant ? J'expirais lentement une fumée opaque pour la laisser se dissiper dans l'oxygène environnant avant qu'un amas de souvenirs envahisse ma tête. Je me surprenais à repenser à mon passé, à mon ancienne moi, à celle que j'étais, celle que je ne suis plus. Puis, je chassais ces idées de mon esprit, me levais et rejoignais les autres, clamant que j'étais prête à faire la fête pendant encore un long moment. A vrai dire, j'ignorais l'heure qu'il était, si le matin était déjà arrivé et pour tout avouer, je n'en avais rien à faire. Moi, je veux vivre, vivre sans me poser de question, vivre sans réfléchir à de quoi sera fait demain. Je veux vivre l'instant présent, je veux t'amuser, je veux braver l'interdit et commettre des délits. Sentir l'exaltation du péché. Je veux avoir tout sans qu'on ne me demande rien. Moi, je veux être libre, tout simplement.

Pourtant, il y a une époque révolue, oubliée, quasiment effacée de la mémoire commune : je ne suis qu'un poupin blond, serrant craintivement la robe de ma mère. Je suis l'enfant sage, un noeud dans les cheveux, une robe à volant, ornée de dentelles. Mes lèvres se fendent en un timide sourire. Je suis l'adolescente pieuse, chaste et tout ce qu'il y a de plus discrète. Est-ce si difficile à croire, une fois qu'on connait la moi d'aujourd'hui ? Cela reste néanmoins la vérité. J'étais vraiment simple, habillée par mes nourrices, le cliché parfait de la poupée sage, un brin effacée, docile. La petite blonde sympathique mais peut-être un peu trop passive. J'étais réservée, je ne parlais pas beaucoup sauf si l'on me posait une question. Silencieuse, petit pantin obéissant, malléable que j'étais. Je faisais ce qu'il fallait faire, je me confondais dans la masse, j'essayais de plaire, d'obtenir l'approbation de mes pairs, mes professeurs, mes parents. Je souriais gentiment, donnant l'impression que dans ma vie parfaitement rangée, j'étais pleinement heureuse. Good girl. J'étais la plus intègre possible, comme si c'était ce que j'étais absolument supposée être. Mais la vraie question est... était-je en vie ? Je sentais mon coeur battre dans ma poitrine et pourtant, je sais que je ne vivais pas. Je ne pouvais prétendre vivre, pas en étant ainsi.

Formatée. Oui. Comme si je n'étais pas maîtresse de ma vie.

Mon réveil fut plutôt brutal. Quinze ans. J'ai quinze ans et je prend le chemin la villa après avoir fini le lycée. Mon chauffeur a eu un empêchement, pour la première fois, je marche donc. Un pas devant l'autre, j'avance la tête baissée. J'aurais dû avoir un trajet tranquille mais soudainement je relève la tête, un crissement de pneus sur le sol attire brusquement mon attention. Une femme crie. Un homme est à terre. Quelques secondes auparavant, je n'avais pas remarqué cette voiture débouler du virage, à toute vitesse. Que dois-je faire ? Je ne sais pas, je n'ai pas été préparée à cette situation. Vite, il faut que j'agisse. Il faut que quelqu'un se bouge. Ce genre d'accident n'arrive pas souvent dans ces beaux quartiers. C'est presque si on n'est pas un peu perdus d'ailleurs. Rapidement, je me saisis de mon portable et tape le numéro des urgences. Plus tard, j'ai appris qu'il était mort sur le coup. Comme ça. En un claquement de doigts, un battement de cils, une poignée de secondes. Rien. Ca aurait pu être moi. On se dit tous ça, certes, en assistant à ce genre de contexte. Moi, ça m'a peut-être un peu trop trotté dans la tête. Et lorsque Kassidy m'a demandé si je voulais la suivre pour faire la fête, j'ai dit oui. Sans même que je ne m'en aperçoive, c'était le début de mon changement.

J'ai laissé tomber les règles, la bienséance, les habits de gentille poupée. Je suis passée d'un extrême à l'autre. A présent, je suis devenue la fille, le cliché par excellence. Je suis la blonde un peu écervelée, populaire, fêtarde, un peu bitchy de temps à autres, celle que l'on adore mépriser. On parle dans mon dos, on se demande si je fais exprès d'être aussi bête, si ma dernière soirée s'est finie en orgie. Je suis la pétasse pour qui ton mec a craqué et qui, sans le vouloir, a mené à votre rupture. Je suis un papillon de nuit. Je suis la gosse de riche qu'on voit traîner chez les carefree. Je joue, je m'amuse, je fais ce dont j'ai envie, quand j'en ai envie, où j'en ai envie. Je n'ai aucune limite. Je sors des phrases parfois surprenantes, de quoi en rajouter sur ma réputation d'idiote de service. Je tombe amoureuse, j'essuie un refus, je m'enfile un pot de glace en apprenant une énième rupture, ou devant un film triste. Je raconte ma vie. Je fonds en larmes. J'éclate de rire. Je fais ma crise. Mais je m'en fiche, au final.

Car, plus que tout, je suis vivante. J'aurais existé, à ma mort, j'aurais vécu. Je pourrai me vanter d'avoir été Absolem Sahara Tyler.