everybody lies

BRIGHTON, CINQ ANS + « MAMAAAAAAAAAAAAN ?! » Je courais dans toute la maison. Petite tête blonde à la recherche de sa génitrice, aussi ronde qu'un ballon de baudruche. Ma mère est enceinte et il parait même que ce sont des jumeaux. Oh mon dieu, je vais avoir deux petits frère, rien que pour moi toute seule. C'est magique, hein que c'est magique ? Bref. Moi, je courais comme une folle dans toute la maison et, en arrivant au salon, mon père m'a attrapé par la taille, me faisant décoller du sol avec une douceur qui lui était propre. C'était comme si je volais et il savait que j'aimais ça. Je riais à gorge déployée jusqu'à ce que ma mère pousse un petit cri. Je me suis tout de suite tue, comme si le monde venait de s'écrouler en un instant. Mon père m'a reposée par terre et a accouru près de ma génitrice. Les contractions se faisaient de plus en plus fréquentes, il était temps de partir. « Mon ange, va mettre tes chaussures, il faut qu'on y aille. » Le regard tendre de ma mère s'est posé sur mon visage rond. Je n'avais que cinq and mais je comprenais déjà que mes petits frères en avaient marre d'être enfermés à l'intérieur de ma mère. Il fallait qu'ils aient plus d'espace et pour ça, ils devaient sortir de là. J'ai d'abord hésité et puis, sous l'insistance du regard de mon géniteur, j'ai filé enfiler ma paire de jolie chaussures vernies. Tout s'est enchainé à la vitesse de la lumière. Mon père qui court dans tous les sens, au bord de la crise de panique. Ma mère qui serre les dents et se retient de hurler tellement la douleur est intense. Et moi, je ne sais pas trop ce que je fais là mais c'est pas important parce que dans quelques heures, j'aurais mes deux petits frères et je pourrais les aimer autant que je suis grande. Oui, ça ne veut rien dire mais osef, c'est moi qui raconte. On est arrivés à l'hôpital et une infirmière m'a prise à part pour s'occuper de moi. Oui, parce que moi, j'avais pas le droit d'y aller. J'étais genre la petite fille foutue à l'écart. Je n'aimais pas ça du tout. Moi je voulais voir les jumeaux, j'étais tellement pressée de pouvoir voir leur petite tête et puis, je voulais déjà les serrer dans mes bras et tout, mais non. Au lieu de ça, on m'a foutue dans un coin avec des feuilles blanches et des crayons de couleurs. Mais moi, je ne voulais pas dessiner, je voulais être là-bas alors je me suis assise, j'ai croisé les bras et j'ai attendu, me levant à chaque fois que quelqu'un franchissait la porte, espérant que ce soit mon père. Ca prenait trop de temps alors je me suis endormie sur ce fauteuil si peu confortable. « Indie ? » La voix de mon père venait troubler mon rêve. Me réveillant doucement, j'ai vu ce magnifique sourire sur ses lèvres et alors j'ai su qu'il était temps. J'ai su que je pourrais enfin donner tout mon amour aux jumeaux. Alors j'ai passé mes bras autour de son cou et il m'a emmener dans cette chambre aux murs si blancs. Ma mère semblait fatiguée mais elle rayonnait. Elle venait de donner la vie et pourtant, elle paraissait encore plus belle que d'habitude, malgré les traits tirés de son visage qui marquaient les efforts qu'elle avait fourni pour venir à bout de cette épreuve douloureuse. Dans ses bras, deux petits êtres que je ne connaissais pas mais que j'aimais déjà comme une folle. Mon père m'a reposé au sol et ma mère m'a fait signe d'approcher. J'ai d'abord hésité. J'avais peur qu'en m'approchant, ils sortent de leur sommeil paisible et qu'ils me détestent de les avoir dérangé. Mon père m'a légèrement poussé dans le dos pour que je m'avance, un sourire sur les lèvres. J'ai obtempéré. Montant avec délicatesse sur le lit et m'asseyant au plus près de ma génitrice, mes yeux passaient de l'un à l'autre. Deux petits anges tombés du ciel. « Mon ange, je te présente tes deux petits-frères : Andreas et Noah. » C'est difficile à croire mais j'avoue ne pas avoir écouté un traitre mot de ce qu'elle venait de me dire. J'étais fascinée par leur petite bouille et leur air si paisible. Sans m'en rendre vraiment compte, je tombais petit à petit amoureuse d'eux et je me jurais de toujours les protéger. Du haut de mes cinq petites années, je jurais de les aimer à jamais et de tout faire pour que leur vie soit la plus simple et la plus heureuse possible.

BRIGHTON, HUIT ANS + « De toute façon, c'est toujours pareil avec toi ! » Pourquoi se disputent-ils cette fois-ci ? Je n'en sais rien et je n'ai pas vraiment envie d'aller écouter aux portes. La dernière fois, ça s'est retourné contre moi alors merci mais je ne tenterais pas l'expérience une nouvelle fois. Recroquevillée sur mon lit, j'ai au moins la conscience tranquille, les jumeaux ne sont pas là. « Et je peux savoir où tu vas comme ça ?! Les jumeaux ne vont pas rentrer tous seuls à la maison ! » La voix rauque de mon père s'élève mais je ne comprends pas un traitre mot de ce qu'il dit. Peut-être que cela vaut mieux ainsi. Je n'ai que huit ans et les problèmes d'adultes ne me regardent en rien. Sauf que ceux-là, ce sont les problèmes de mes parents et quand les cris montent dans la maison, je me mets à trembler et les larmes courent jusqu'au bord de mes yeux. Je crois n'avoir jamais aimé les disputes. Elles me font peur. En plus, ça finit toujours mal. Je me bouche les oreilles et ferme les yeux. Je ne veux pas en savoir plus. Et puis, tout d'un coup, tout semble si calme. Je me risque à lâcher prise et j'entends la porte d'entrée claquer. Je vous l'avais dit, les problèmes d'adultes, ça finit toujours mal. La maison est trop calme. Curieuse malgré tout, je descends les escaliers et je trouve ma mère assise en bas, sur les dernières marches. Elle se tient la tête entre les mains. Elle pleure. Je n'aime pas voir les gens pleurer, ça me donne envie de les suivre dans leur chagrin. Petit fille encore bien trop innocente, je m'assoie à côté d'elle et pose ma tête sur son épaule. Ma mère est fragile. Elle me prend dans ses bras, me souffle qu'elle est désolée et me sert fort contre elle. J'étouffe presque mais je ne dis rien parce que la voir comme ça, ça me détruit.

BRIGHTON, DIX ANS + Encore et toujours des cris. A la maison, tout ne se résume plus qu'à ça. Les jumeaux grandissent à vue d’œil mais personne n'est vraiment là pour eux. Enfin, personne, si. Moi, je suis là. Le problème, c'est que moi, je ne peux pas remplacer mes parents. Du haut de mes dix petites années, je ne comprends pas vraiment ce qu'il se passe. Je sais juste que tout va mal et que je dois rester forte pour les jumeaux. Encore une fois, des cris. Maman pleure, ou du moins, elle est au bord des larmes. Ca s'entend dans sa voix. Elle a toujours été très émotive et tout se ressent à sa façon de parler. Les garçons sont tous les deux, dans la chambre. Moi, cachée en haut des escaliers, le regard perdu dans le vide, je tente de faire abstraction de tout ça. Le ton monte encore plus haut. Mon père n'est plus le même. Je ne suis pas débile. Il se tape quelqu'un d'autre. Sa petite vie bien rangée ne lui suffit plus. Je me risque à descendre quelques marches, en silence. Debout sur la dernière marche, je souffre en silence. De là où je suis, ils ne peuvent pas me voir. Les cris viennent de la cuisine. Tout s'arrête un instant. Est-ce vraiment fini ou tout va repartir de plus belle. Un bruit sourd. Mon père sort de la pièce, un sac à la main. Le visage marqué par sa colère ou encore sa honte, il passe devant moi sans me voir. C'est là que je comprends. « Papa ... » Dans un souffle bref, je vends mon âme au diable. Se retournera-t-il ou décidera-t-il simplement de partir sans un mot ? Se retournant vers moi, il revient à ma hauteur et dépose un baiser appuyé sur mon front. Sans même dire un mot, il s'en va en claquant la porte. Alors c'est comme ça que ça se termine ? Un simple claquement de porte, sérieusement ? Mon instinct me pousse à la suivre mais je n'arrive qu'à faire quelques pas. La main en l'air vers cette porte qui ne se rouvrira pas, j'espère malgré tout le voir surgir de nul part. Mais rien. Incapable de bouger, des pas dévalent l'escalier et moi, je n'ai même pas la force de me retourner. Je reste comme bloquée, prise de court par cette situation que je ne veux pas comprendre. Je ne veux pas accepter la lâcheté de mon paternel et pourtant, il faudra que je le fasse. Finalement, je ne sais pas combien de temps s'est écoulé, mais j'arrive enfin à quitter mes sombres pensées. Courir vers la cuisine. Trouver ma mère en larmes sur le sol, Andreas qui la serre dans ses bras. Pauvre famille sans défense. Mon petit frère, du haut de ses cinq petites années, n'avait déjà pas peur d'affronter la dure réalité de la vie. Cette image restera à jamais gravée dans ma mémoire. Silencieuse, je me suis accroupie et j'ai serré la main de ma mère aussi fort que mes petites mains pouvaient me le permettre. Prenant mon petit ange contre moi, je jurais de les protéger quoi qu'il arrive. Livrés à nous-même sans aucune explication. Ma mère se relèverait. Elle a toujours été forte, peu importe la situation, elle y arriverait. Je ne me faisais pas de soucis pour elle. Malgré tout, je la soutiendrais par ce que la famille, c'est tout ce qui compte.

every teardrop is a waterfall

BRIGHTON, TREIZE ANS + Trois ans qu'il est parti. Trois ans qu'il a laissé derrière lui une famille brisée, en vrac. Ma mère a pleuré pendant un temps, les jumeaux étaient déboussolés et moi, je souffrais en silence. Mon père avait choisi la facilité. Il s'était tiré comme un lâche. Pas une explication, pas une lettre, pas un coup de fil. C'est à croire qu'il n'en n'avait rien à foutre au final de nous. C'est pas comme s'il n'avait pas eu d'enfants pourtant. Et on fait quoi nous sans une figure paternelle à la maison au juste ? Oh et ben en fait, ça s'est avéré plus simple que je ne l'imaginais. Un seul prénom : Edmond. Ma mère s'est dégoté un nouvel homme. J'avais quelques appréhension mais, finalement, j'ai appris à avoir confiance en lui. Totalement inoffensif, il était fou amoureux de ma mère et ça se voyait. J'avais onze ans quand il a débarqué dans notre vie. Je crois que Noah n'a jamais eu de problèmes avec lui. Enfin, je n'en sais rien en fait. C'était Andreas qui m'inquiétait le plus. Quand Edmond a débarqué, il a carrément arrêté de parler. Déjà pas très bavard de nature, ma petite tête bouclée s'est plongé dans un silence total. Je ne compte plus le nombre de monologue que je lui ais servis. Je crois avoir tout essayé mais rien n'a jamais fonctionné. Allez savoir, peut-être que je m'y prenais mal après tout. Et puis, très vite, je n'ai pas résister à l'envie de le remettre d'aplomb. C'était mon petit frère après tout. N'avais-je pas juré de les protéger quoi qu'il arrive. Mon petit ange avait perdu l'usage de la parole et je devais la lui retrouver.Y aller tout en douceur, ne pas le forcer, prendre son temps. Deux ans plus tard, je n'arrivais toujours à rien. J'avais pourtant l'intime conviction que je pourrais y arriver un jour. « Andreas, je peux entrer ? » Pour seule et unique réponse, il a levé la tête. Ce petit bonhomme me donnait du fil à retordre et je n'étais certainement pas au bout de mes peines. « Alors, dis-moi, qu'est-ce que tu as fait de ta journée babe ? » Des petites questions futiles et banales mais il parait que ça peut aider. Toujours pas de réponse. De simples gestes, il ne fait plus que ça. Il me montre tout un tas de choses. Le regard attendrissant d'une gamine de treize ans, le petit sourire en coin de la fillette qui comprend et qui apprécie ce qu'on lui mime. Je lui demande si ça lui a plu. Il hoche la tête pour me répondre que oui. « Dis, tu veux pas lâcher tes devoirs un peu et venir t'asseoir, j'ai des trucs à te dire petite tête. » Petit bonhomme a tout laissé en plan sans pour autant montrer son désaccord. Il est venu s'asseoir sur le lit, juste à côté de moi. Même s'il ne me regardait pas, je savais que je pouvais parler. Même si je n'avais pas de réponse, je savais qu'il m'écouterait. Il l'avait toujours fait jusque là en tout cas. « Tu sais, tu nous manques beaucoup. J'aimerais t'entendre rire comme avant. C'est plus vraiment pareil maintenant, je le sais. Mais, je sais aussi que tu n'es pas bête et que tu as compris qu'il ne reviendra pas ... » Je le soupçonnais de n'avoir toujours pas digéré le départ de papa. J'ignore si je visais juste ou non mais, de toute façon, il ne répondrais pas pour confirmer ou non alors j'étais tranquille. « Il nous a fait du mal, beaucoup de mal ... » Et, de toute façon, personne ne pourrait me contredire. « Mais maintenant, c'est fini ... On va s'en sortir, comme toujours. Maman est encore là elle et je sais qu'elle lâchera rien ... Et puis, moi aussi je suis là. » Un petit sourire en coin sur mes lèvres, j'ai tourné la tête vers mon petit frère. Comme s'il avait senti que je le regardais, il a relevé la tête et ses petits yeux ronds se sont posés sur moi. « On est des Fawkes, on finit toujours par s'en sortir, pas vrai ? » Il a baissé la tête. Ouais, c'était décidément pas gagné du tout. « Andreas ... Si seulement tu pouvais me dire ce qui se passe dans ta tête ... » J'ai poussé un soupire. Il a relevé la tête et entrouvert la bouche, comme s'il était prêt à me parler. Et puis, finalement, il s'est ravisé. « C'est pas grave ... Ca viendra avec le temps, je te le promet ... » J'ai ouvert mes bras quand il a commencé à se pencher vers moi, posant ma tête contre la sienne. Je ne le laisserais pas tomber. Jamais. « Je t'aime p'tit frère ... » Une fois de plus, j'avais échoué. Cependant, j'étais contente de constater que j'y étais presque arrivée. Qui sait, peut-être que je finirais par réussir un jour.

BRIGHTON, QUINZE ANS + Andreas est suivit par un psy. J'ai comme l'impression que ça l'aide. Il n'a toujours pas décroché un mot. J'essaye toujours de le sortir de là, à ma manière. Je vois bien qu'il essaye de parler mais c'est comme s'il n'y arrivait pas finalement. En ce qui me concerne, la vie continue. Les jours se suivent et se ressemblent au final. L'école, la maison, Andreas, le repas, au lit. Réglée comme du papier à musique. Un groupe d'amis, les sorties, les garçons. Et puis, tu veux te jeter à l'eau mais tu ne finis que par récolter un mal-être qui ne et lâche plus. Je revois sa réaction quand je lui ais dit qu'il me plaisait. Comme encrée à jamais dans ma mémoire, sa réponse m'avait frappée en pleine face, touchant ma fierté et mon égo sans même passer par la case départ. « Non mais sérieusement Indie ?! Tu crois quand même pas que ... » Il a rigolé pendant près de cinq minutes, le temps pour moi de me décomposer sur place. « Regardes-toi ! T'es ... Grosse ! » Et il s'est tiré sans rien ajouter de plus, son rire incessant me tapant sur le système. Après ça, la descente aux enfers à commencé. De nombreuses crises de panique pendant lesquelles je ne pensais qu'à manger. Mon poids est devenu mon pire ennemi, ma phobie absolue. Se faire vomir, avaler des tonnes et des tonnes de pilules. Ca, c'était devenu mon quotidien. Enfin, jusqu'à ce qu'Andreas découvre mon mal-être. Noah n'a pas mis bien longtemps à comprendre non plus. « T'es pas sérieuse Indie ?! J'te jure mais ça va pas dans ta tête ! » Et oui, dix ans et déjà ça ouvre sa bouche. « Et tu comptais faire passer ça comme ça, avec de la pommade ?! Non mais je rêve ! » Oui, mon petit frère s'est pris pour mon père. Non, vous ne rêvez pas, Noah est déjà un véritable petit tyran. D'ailleurs, le pire collabo de tous les temps se cachait en mon petit frère. Il a été balancer tout ça à maman. Elle m'a envoyé dans un centre. Non mais elle n'est pas sérieuse là ? Un centre psychiatrique à Brighton, rien que pour moi ? Et puis quoi encore. Je l'ai supplié, j'aurais pu ramper à ses pieds que je l'aurais fait. Edmond a essayé d’apaiser son courroux mais en vain. Et puis, le jour où j'ai mis les pieds dans ce foutu centre, Andreas m'a sauté dans les bras. « Reviens vite Indie ... Je t'aime moi et j'veux que tu reviennes. » Les larmes aux yeux, j'ai enfouie ma tête dans son cou. Oh mon petit ange, si tu savais à quel point tu m'as redonné la force de me battre.

BRIGHTON, DIX-SEPT ANS + Deux ans. C'est fou ce que cela peut paraitre infiniment long. Deux ans qu'on me prend pour une toute petite chose fragile. Combien de fois faudra-t-il que je leur répète que je vais bien ? Jusqu'à ce qu'ils me pensent capable de ne pas mentir certainement. Je ne dois pas être une si bonne menteuse que ça finalement. Peu importe, avec le temps on s'améliore. Et moi, j'ai eu deux longues années pour m'entrainer. C'est d'ailleurs par la ruse que je m'en suis sortie. Bon d'accord, pas que par la ruse. Oui, je me suis soignée quand même. La boulimie n'est as une maladie facile à supporter, ni même à gérer. On ne s'en sort pas comme ça. On ne s'en sort pas vraiment en fin de compte. Le plus important est de pouvoir se concentrer sur quelque chose, ou même sur quelqu'un. Une fois que tu as trouvé l'objet de ta concentration, parfois c'est beaucoup plus facile, plus agréable, moins violent. Oh bien sûr, ce n'est jamais une partie de plaisir, mais ça apaise les crises. Il faut tenir le coup, travailler dur et surtout ne jamais baisser les bras. J'ai eu le malheur de vouloir abandonner une fois. Manger jusqu'à en avoir des crampes à l'estomac, se précipité vers les toilettes et se jeter sur la cuvette. T'es toute seule, dans ton monde. Tu ne pense qu'à ton bien-être et tu oublies tout ce qui peut se passer autour de toi. S'enfoncer les doigts au fond de la gorge pour se sentir mieux et accélérer le processus. Cela n'a jamais été une partie de plaisir, je vous l'assure. Mais, à force, on s'habitue à la douleur. Les larmes dévalent la pente de mes joues rosies par la honte. Et encore, ça, ce n'était rien. J'ai eu le malheur de n'avoir plus rien à vomir. J'ai eu le malheur de me laisser tomber sur le sol. Entre les larmes, j'ai vu qu'ils étaient là et j'ai su que je venais de perdre le peu d'estime qu'ils avaient pour moi. Les jumeaux n'avaient même pas fait de bruit. « Indie ... » Andreas restait bouche-bée devant le spectacle que je venais de lui offrir. Noah, lui, me transmettait tout son dégoût pour ma petite personne au travers d'un simple regard. Il a tourné les talons en attrapant son frère par le bras. Je me suis jurée de ne plus jamais reproduire une telle chose. Et si j'ai réussi à me reprendre en main, c'est simplement parce que je me suis concentrée sur mes deux petits bonhommes. C'est pour eux que j'ai réussi à me soigner. Enfin, comme je l'ai dit, on ne se soigne jamais vraiment de cette maladie. Ces deux années au centre ont été un véritable calvaire pour moi. J'avoue avoir joué un peu sur mon nouveau talent d'actrice pour sortir. Oh non, ce n'était pas grand chose. Je pensais être certaine de pouvoir sortir sereinement, sans avoir envie de replonger. J'ai tout fait pour leur prouver que j'étais prête. Alors je suis sortie. J'ai retrouvé mon petit chez moi. J'ai retrouvé mes deux petits anges. Oh oui, ils m'ont pardonné. A cet âge là, on peut encore tout pardonner. J'avais dix-sept ans quand je suis sortie. Et oui, j'avais dix-sept ans et j'étais effrayée de faire le moindre faux pas. Et puis, je repensais aux jumeaux et alors je savais que je ne devrais plus rien craindre de mes peurs les plus profondes et les plus sombres.

BRIGHTON, VINGT ANS + Rentrer à la maison et se promener sur un champ de bataille. J'ai l'impression d'être partie pendant une éternité. Les trois années qui ont suivit mon retour à la maison ont certainement été les plus longues de toute ma vie. Partagée entre les deux hommes de ma vie, ne jamais savoir sur quel pied danser. Entre Noah et Andreas, rien ne va plus et moi, je n'aime pas la place d'arbitre. J'envie tous ces gens qui ne se doutent de rien, tous ceux qui n'ont pas à rentrer dans cette guerre sans merci. Et moi dans tout ça ? Un coup avec l'un, un coup avec l'autre. Le problème, c'est que si je soutiens l'un, je perds l'autre et inversement proportionnel. Pas facile d'être la bouée de sauvetage de la famille Fawkes. J'ai comme l'impression que tout le monde se raccroche à moi alors qu'au final, je suis la plus faible de tous. Je peux bien vous l'avouer. Je suis en lutte permanente avec moi-même. Pourquoi ? Pour ne pas prendre partie entre mes deux frères, pour ne pas replonger dans cette spirale infernale qu'est la boulimie. « Putain mais suicide toi qu'on en finisse là ! » Je lève la tête de mes bouquins, les yeux ronds comme des billes. Je pousse un long soupire. Une énième dispute éclate et, comme d'habitude, il va falloir que j'intervienne avant que ça ne se termine en bain de sang. J'ouvre la porte de ma chambre et je vois Andreas dévaler les escaliers. Un claquement de porte. Génial. Je tourne la tête vers Noah. « Ben quoi ?! Il me saoule là ! » Je croise les bras et penche la tête légèrement sur le côté. « C'est quoi le problème cette fois-ci ? » Il lève les yeux au ciel et va s'enfermer dans sa chambre. D'accord, c'est doublement génial. Et ça, c'est comme ça tout le temps. Ils vont vraiment finir par me rendre chèvre ces deux-là, c'est pas possible autrement. alors je prends mon mal en patience, je ravale ma fierté et je fais comme si tout allait bien, alors qu'en fait, je ne supporte plus tout ça. Il faut que je parte, il faut que je change de vie, j'en sais rien, mais il faut que je fasse quelque chose avant de faire une connerie.

you gotta get up and try

BRIGHTON, VINGT-ET-UN ANS « Et tu comptais me le dire quand hein ?! » Je n'aime pas le regard qu'il me lance. J'ai comme l'impression que je le dégoûte. S'il savait que je pars pour son bien, peut-être changerait-il d'avis. Je pars parce qu'ici j'étouffe et que je décevrais tellement de personnes si jamais je faisais un faux pas. Je ne veux pas qu'il me voit craquer. Je ne veux pas qu'il voit à quel point je suis mal dans ma peau. Il vaut mieux que je parte, ce sera mieux pour tout le monde. « C'est pas aussi simple que ça, je te l'assure ... Et puis, je ne serais jamais bien loin, je te le promet Jules. » Le blondinet me regarde de travers, comme si j'avais sorti la plus grande bêtise du monde. Jules, c'est comme un autre petit frère. J'ai toujours voulu le protéger, le chouchouter comme je le faisais avec les jumeaux. Il compte beaucoup à mes yeux et je dois bien avouer que là, j'avais merdé complètement. En même temps, je comptais ne prévenir personne au départ. Enfin ça, c'était avant que Noah ne découvre mon désir enfoui et ne balance tout à la famille. Petit con. Mais je l'aime ce petit con. Tout laisser derrière moi n'était pas la chose la plus facile que j'ai faite. Laisser les jumeaux, laisser Jules, laisser Marley, Ellen, Meth et tous ceux à qui je tiens. Oh non, cela n'avait rien de facile pour moi. « Putain mais en fait, t'es une putain de lâcheuse Indie ! Tu te rends compte de ce que tu fais au moins ?! » Je n'aimais pas le ton qu'il prenait avec moi. Il se croyait où celui-là sérieusement ? C'est pas un gamin d'à peine seize ans qui va me prendre la tête oui. « Tu ne sais pas de quoi tu parles alors arrête ça tout de suite et parle-moi autrement, je ne suis pas ta pote, c'est clair ? » Il reste bouche-bée. Et vlan, prends toi ça dans la face le blond. « Et ben bon vent Indiana ! » Personne ne m'appelle par mon prénom. Je n'aime pas quand on m'appelle par mon prénom, ça ne signifie pas quelque chose de positif. Il hausse les épaules et tourne les talons. Je l'avais cherché ça, je dois bien le reconnaitre. « Attends Jules ... J'suis désolée d'accord. Mais j'te jure que je ne serais pas loin, une heure à peine. Aller, fais pas la gueule, s'il te plait, j'ai pas besoin de ça, c'est déjà assez difficile ... S'il te plait ... » Il s'arrête et se tourne vers moi. Oui, j'étais désolée, sincèrement. « Si c'est si difficile que ça, t'as qu'à rester. » Je ferme les yeux et pousse un soupire avant de les rouvrir. Je ne pouvais pas rester mais comment le lui expliquer ? Je n'en n'avais absolument aucune idée et je devrais faire avec. « J'peux pas ... J'suis désolée ... » Nouveau soupire de ma part et, comme un geste rituel, je l'attire contre moi et le serre doucement. La dernière accolade. Ma petite tête blonde va me manquer, énormément même. Finalement, je m'écarte avec habilité et je monte dans ma voiture. Adieu Brighton, Londres m'ouvre ses portes. J'hésite un moment avant de mettre le contact et finalement, c'est en le voyant dans le rétroviseur que j'ai su que je devais m'en aller au plus vite. Parce que si je trainais encore un peu, je ne pourrais plus m'enfuir et c'en serait fini de tout ce cinéma muet. Sans un regard en arrière, j'ai démarré le véhicule et j'ai filé, le coeur lourd. Je reviendrais Brighton, je te le promet. Je reviendrais.

LONDRES, VINGT-DEUX ANS Nouveau départ. Nouvelle vie. Londres. La capitale anglaise. On dort le jour et on vit la nuit. Oui, si seulement c'était aussi simple que ça. L'appartement que je loue, ce n'est pas le grand luxe, c'est même plutôt petit, mais ça me convient. Je me suis trouvée un petit boulot, secrétaire dans un cabinet médical. C'est pas trop mal en fin de compte et puis, ça paye le loyer alors je ne vais pas m'en plaindre. J'ai une bonne situation ici. Enfin, ça, c'est simplement quand on regarde à la surface. Si on creuse un peu, on voit bien toute l'angoisse et le stresse que j'accumule. Je me force à ne pas manger trop gras, trop sucré, ni trop salé. J'ai trouvé un remède intéressant : les salades. Toutes plus diverses et variées les unes que les autres, je me contente de jouer les parfaites petites végétalienne. Jusqu'ici, tout va bien. Je me prends moins la tête, du coup, tout est plus simple. Je n'ai pas encore eu de crise, je me contrôle comme si je m'en étais sortie. La vie à Londres est loin d'être similaire à celle que je menais à Brighton. Le changement a été en quelque sorte épuisant mais, au final, c'est un mal pour un bien. Tout allait bien, jusqu'à ce que j'apprenne ce qu'il se passait chez moi. Mon petit ange qui fait n'importe quoi, le blondinet, je n'en parle même pas, Noah qui ne s'arrange pas non plus. Bref, tout pour me foutre le moral à zéro. J'avoue que j'ai ressenti une besoin incontrôlable d'aide. Oui, j'avais besoin d'aide. Andreas a répondu présent, comme d'habitude. Il a débarqué à l'appartement et il me serait impossible de vous dire à quel point il m'avait manqué. Alors, pour qu'il ne s'inquiète pas trop, j'ai fait comme si de rien n'était. Cacher mes peurs, cacher le fait que j'avais replonger. Pour lui, plus rien n'allait plus. Il n'avait pas besoin de gérer mes problèmes en plus. Ses conneries le mettaient dans une merde pas possible, Maxime refusait tout contact - ce que je comprends parfaitement. Mon petit frère avait besoin de moi, pas de la loque humaine que j'étais finalement. Et puis, il y a eu cette tentative de suicide. Cela m'a fait perdre tous mes moyens. Le trouver complètement amorphe a déclenché le processus et je n'arrivais plus à contrôler quoi que ce soit. J'étais là, j'ai rien lâché, je ne le laisserais pas tomber. Mais, à côté de ça, c'est moi que j'ai complètement délaissé. Je me faisais du mal pour compenser sa souffrance. Il a fallut que je prévienne maman et là, ce fut le drame. Il fallait que je le conduise à l'hôpital psychiatrique. C'était une énorme blague là ?! Elle tenait vraiment à lui faire subir ça ?! Je n'avais cependant pas le choix. Désobéir aux ordres de Madame Fawkes était un sacrilège. Je n'avais pas le choix. Et puis, si je ne le faisais pas, elle viendrait et verrait forcément que moi non plus, je ne vais pas bien. Alors, j'ai fait sortir mon petit ange et je l'ai conduit dans cet endroit, sans rien lui dire. Oh il m'a traité de tous les noms, ils m'a descendu plus bas que terre mais je ne pouvais pas lui en vouloir. Je l'aime mon petit ange alors peu importe ce qu'il pourrait dire finalement. S'il savait à quel point je regrette, à quel point je voudrais faire machine arrière et ne pas avoir à l'y envoyer, ce serait tellement plus simple.

LONDRES, VINGT-DEUX ANS « Maman ?! » Non, je ne rêvais pas. Ma mère se tenait bien devant moi, sur le pallier de mon appartement à Londres. Oh mon dieu, Andreas avait osé. En même temps, je ne pouvais pas le blâmer. Elle avait refusé de le sortir de l'hôpital. Il était légitime pour lui de se défendre en lui parlant de ma rechute. Au départ, je ne l'avais pas cru quand il m'avait dit qu'il l'avait appelé. J'aurais mieux fait. Je me suis clairement fait passer un savon avec interdiction formelle de sortir mon petit frère du centre sous peine de passer ma vie entière au centre à Brighton. Malgré toutes les supplications de mon petit ange, je ne pouvais pas désobéir à ma génitrice. J'avais obtenu gain de cause et je lui avais promis de retourner au centre dès que mon petit frère serait sorti. Elle avait accepté. Mais bien sûr, il a fallut que Jules vienne le sortir de là-bas. Ô comme je les ai hais de me faire ce coup là. J'étais tellement paniquée que j'aurais bien tenté le diable mais mon petit ange a su m'en empêcher. Bien sûr, il ne m'a pas cru une seule seconde. De toute façon, il a raison de se méfier. Il m'a juré d'aller voir maman et de tout lui expliquer. Et comme d'habitude, je lui ais fais confiance. J'ignore comment il s'est démerdé mais il a réussit. Le compromis ? Il devait jouer les babysitteur pour moi. Bon d'accord, il y a bien pire que lui, c'est sur et certain. Et puis, ça me permet de passer un peu de temps avec mon petit ange, c'est pas plus mal au final. Je sens que je peux m'en sortir et, pour la première fois depuis un long moment, j'ai cette envie folle de ne pas replonger, comme cette fois où les jumeaux m'avaient surprise. Ne plus jamais baisser les bras. Oh oui, ce serait si bien. Je devais m'en donner les moyens et je savais que je pourrais le faire, je ne suis pas plus bête qu'une autre. Enfin, il reste encore un problème majeur à éliminer pour que je puisse faire en sorte que tout se passe mieux à nouveau : Jules. J'appréhende le retour à Brighton parce que je sais que quelque chose ne va pas et qu'il ne voudra pas me le dire, à moins que je le pousse dans ses retranchements. Tant que je ne saurais pas ce qui se passe dans sa petite tête, je ne suis pas prête de m'en sortir. Parce que oui, j'ai besoin de ma famille pour arrêter le processus, de toute ma famille. Et Jules, malgré tout, il en fait parti.

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