« Viens là, princesse. » J’émis un léger rire. L’accent de Thelma, notre gouvernante à ma sœur et moi, me faisait toujours le même effet. Il fallait dire qu’avec sa couleur de peau foncée et son accent plein de chaleur, elle incarnait parfaitement le stéréotype de la gouvernante africaine. « C’est drôle quand tu parles, Thelma. » « Ah ? Et qu’est-ce qui te fait rire, ma petite chérie ? » « Quand tu dis des lettres, on dirait que c’est des autres ! » Elle secouait la tête, un sourire bienveillant aux lèvres. Elle m’attrapa et me posa sur le comptoir de la cuisine. Je n’étais pas très lourde du haut de mes cinq ans. Robyn entra au moment où Thelma posait le plateau de cookies sortant du four sur la table. Elle passa et en attrapa un. « Fais attention Robyn, ils sont encore chauds ! » « T’inquiète Thelma, je gère ! Bon je vais à la danse, à tout à l’heure p’tite sœur. » Elle déposa un baiser sur le haut de mon front, embrassa Thelma et s’enfuit rejoindre notre mère, qui l’attendait sûrement déjà dans la voiture. Robyn avait toujours été comme ça, elle avait trente-six milles activités parascolaires. Ca avait commencé avec la danse, mais petit-à-petit elle se mit à la harpe, au piano, à l’espagnol, au tennis et même à la poterie ! Elle était douée. Moi je n’ai jamais rien fait. J’en avais marre d’entendre mes parents me répéter à longueur de journées que j’étais une incapable, que je devrais prendre exemple sur ma sœur elle qui réussit si bien tout ce qu’elle entreprend, et ainsi de suite. Elle a toujours collectionné les A à l’école, alors que je me contentais la plupart du temps de C, parfois des B dans les matières que j’aimais. Mes parents avaient en quelques sortes commencé à tuer toute motivation et tout espoir qu’on aurait pu trouver en moi. Mais ça je n’en savais encore rien à l’époque. Pour l’instant je n’avais que cinq ans, j’étais petite, tout le monde me trouvait adorable, bien qu’assez imprudente et imprévisible comme gamine. Je faisais souvent des conneries, comme l’épisode de la licorne. Mais j’étais mignonne donc on m’excusait, presque tout. C’est quand j’ai commencé à devenir plus âgée qu’on me le faisait remarquer, et accessoirement regretter. Mais pour l’instant, j’étais sur le comptoir de la cuisine et Thelma venait de me préparer une trentaine de cookies délicieux, avec des pépites de chocolats noir et blanc et des morceaux de noix de pécan. Mes préférés. Et je me régalais.

Nate était mon meilleur ami quand j’avais quinze ans. Il était un des seuls mecs avec qui je me sentais bien. Il me comprenait, et quand ce n’était pas le cas, il se taisait et me laissait avec mes plans. Il savait comment je fonctionnais, et vice-versa. On était tout le temps ensemble, les gens croyaient même que c’était mon petit ami. Sauf qu’il était gay comme un phoque. Je n’avais aucun problème avec ça, et lui non plus d’ailleurs, mais il faut dire que dans l’école de bourges où on était, la différence était assez mal perçue. Même si, à mon propre avis, y’a pas la moitié de ces fils de putes qui aurait mis sa bite dans une techa. Enfin bref. « Putain Kiara, j’ai une saloperie d'idée ! » Ah oui aussi, c’est lui qui m’avait trouvé ce surnom que j’ai imposé à tout le monde. Faith ça fait trop… enfin sage je trouve. Ou meuf totalement dévergondée, pour pas dire grosse pute. Et je déteste les préjugés. « Hm yakoi ? » « Demain, y’a la soirée de William et… » « Euh je t’arrête tout de suite, j’vais pas me pointer à la soirée de cette pédale ho ! J’ai une réputation à défendre steplait. » « Non mais… wait, tu crois vraiment qu’il est pd ? » « Euuuuuuh ouais, et même plus que toi ! » Je sais bien qu’il n’existe pas une échelle pour jauger le taux d’homosexualité en chacun mais bon, c’était une façon de parler. « T’as pas vu le pantalon que sa girlfriend lui a offert pour son annif ? C'est un appel au gang bang ce truc ! » J’insistai bien sur le mot girlfriend en mimant plusieurs guillemets autour du mot. « Hm j’avoue que… » « Y’a rien à avouer Nate, il est aussi pd qu’Elton John. » Il ne répondit rien mais je le vis sourire en coin. J’allais le narguer mais je n’eus pas le temps. « Bref, donc demain y’a la soirée, et je pensais qu’on pourrait y aller et en profiter pour faire croire à tout le monde qu’on couche ensemble. » J’écarquillai les yeux. « Whatttttt ? Et pourquoi je ferais ça ? Ew no c’est dégueu ! » « Mais putain réfléchis, c’est parfait ! Comme ça personne ne se doute que je suis pd, et toi… bah t’es heureuse, t’as perdu ta virginité. » Je réfléchis un instant. C’est vrai que la proposition était plutôt pas mal. Puis même, rien que pour lui, en temps que meilleure amie parfaite je me devais de le faire. « Ouais d’accord. Mais je rajoute ça à ta note de choses que tu me dois. Et pas la peine de me remercier voyons, je sais que je suis parfaite. » « Pffff n’importe quoi. » Il leva les yeux au ciel avant de me prendre dans ses bras et de m’embrasser sur le haut du crâne. Je restai dans ses bras tout le reste de la soirée, à regarder les étoiles, depuis mon toit. Tout le monde crut à notre supercherie.

Ma dernière connerie en date, c’était il y a un mois ou deux, j’sais plus trop, avec Nate (comme d’hab). Ca s’est passé le soir de la réunion parents-professeurs. Disons que mon meilleur ami et moi avons… beaucoup bu. Et fumé un peu aussi. Enfin on était assez loin et puis comme ça, d’un coup, je sais même pas pourquoi, on a eu un plan. « Putainnnnn Nate, viens j’ai une idée ! » « Euh ouais, c’est quoi ? » « Non ta gueule, suis moi ! » « HAHAHAHAHAHAHAHAHAHA OK ! » Il rigolait comme un débile. Il était adorablement mignon comme mec, mais quand il riait… putain on pouvait pas le rater. Bref, dans l’ombré, on avait s’était tiré de la soirée – qui nous faisait un peu chier – et on a tracé jusqu’à l’école, lui toujours sur mes talons. « Hé ho putain Kiara, on va où là ? » « Ben dans le lycée, ça se voit nan ? » « HAHAHAHAHAHAHAHA OUAIS J’AVOUE J’SUIS CON ! » « Putain ta gueule Nate tu vas nous faire repérer ! » « HAHAHAHAHahahaha oops pardon. » Je me suis avancée jusqu’à la porte de l’établissement, l’ai ouverte et il m’a rejoint. On a marché dans les couloirs, évitant un maximum de passer devant les classes où se trouvaient les parents, sait-on jamais. On est ressortis dix minutes après, le trophée de la dernière coupe de football, que notre lycée avait remportée. On est monté sur le toit de l’école et on s’est amusé à verser le reste de la bouteille de Jack Daniel’s qu’on avait avec nous. On s’en foutait partout, on buvait, on riait comme des vieux attardés bons à interner. Inutile de dire que même pas une heure après, on était grillés. C’est comme ça que je me suis fait virer de l’école. Nate aussi aurait été renvoyé, si je ne lui avais pas sauvé la mise. Il a juste reçu un paquet incalculable d’heures de retenue en avertissement. Il m’en doit une belle, la vie de ma mère ! Bref, mes parents me détestent encore plus qu’avant et je pense sérieusement à me tirer, je sais pas trop où. Si je me trouvais des colocs, ça pourrait être cool.